Vues d’expositions & textes

Barrer le seuil, dossier de presse - L’Angle, La Roche Sur Foron, 2024

En introduisant quelques dérèglements ou autres aberrations dans des espaces du quotidien, Johan Parent questionne leurs particularités et leurs principes de circulation. Ses différentes interventions créent des mises en abyme successives où l’on peine à retrouver ses repères. Barrer le Seuil se propose une expérience, durant laquelle le visiteur est plongé dans des états intermédiaires paradoxaux. Entre obscurité et lumière, dimension physique et psychique, banalité et étrangeté, immersion et distance, Johan Parent explore le principe de liminalité* qui génère un environnement froid et déshumanisé. En y étant confronté, le visiteur déambule, contourne, s’arrête, parfois se perd, se transformant inévitablement en acteur. Ainsi, bousculant nos repères habituels, Johan Parent nous invite à vivre l’exposition, libre d’interpréter ces nouvelles perspectives à notre guise.

*Un état ou une situation de transition, caractérisé par l’incertitude, l’ambiguïté et la remise en question des normes habituelles.

  • Image 1: Vue d’ensemble, Vidéo Compression, 12,22 min, 2021

  • Image 2: Grow room, techniques mixtes, 40x30 cm (x6), 2021

  • Image 3: Vue d’ensemble

  • Image 4: Élévation, dimension variable, 2024

  • Image 5: Vue d’ensemble

  • Image 4: Percée, Impression numérique & store, 90x50 cm (x5), 2024


Perte de signal, (extrait) - Projet Relief, Cluses, 2024. Exposition en duo avec Johanna Perret

Cette courte définition prévient le visiteur. Dès qu’il entrera dans l’exposition, celui-ci sera immédiatement confronté à des œuvres qui viennent brouiller la lisibilité et la clarté de ce qu’elles représentent.Entre figuration signifiée et abstraction visuelle, cette proposition nous plonge dans un univers paysager tant contemplatif que réflexif.(...) Placée au centre de l’espace d’exposition, cette installation permet de déambuler dans une sorte d’environnement minimal évoquant le concept de bureau paysager. Les tréteaux et les lampes d’architectes viennent mettre hors-sol, ce qui s’apparente à 3 cartes topographiques quasi monochromes. Ce travail énigmatique, est issu d’un dispositif de fabrication protocolaire et mécanique. Chaque ‘‘carte’’ est réalisée à partir de trois ouvrages – le code pénal, civil et celui du travail – déchiquetés par une broyeuse, pour être reconditionné en pâte à papier grossière. Sorte de corrélation linguistique entre le fond et la forme, Matière grise vient révéler une certaine opacité d’un système organisationnel et hors champ.Cacher / faire disparaître pour mieux révéler, c’est certainement la trame implicite de cette exposition. Les représentations fantomatiques d’objets-sujets placé en arrière plan, nous invite à voir au-delà de ce qui nous est donné de percevoir.

  • Image 1 à 3: Vue d’ensemble,  Matière grise, 120x90 cm (x3), 2019

  • Image 4: Matière grise, 23x317 cm (x45), 2018

  • Image 5: Bourdon, installation sonore, 2012


Entreprise X, Directeur des ressources humaines, (extrait) Entretien avec Benoît Lamy de la Chapelle - Exposition Open space, Espace Vallès, Grenoble, 2019

_Bonjour Monsieur Parent, avant que vous nous expliquiez votre projet plus en détail, ainsi que ses enjeux, je vous demanderais de bien vouloir revenir sur votre parcours professionnel, de nous présenter votre démarche générale en tant qu’artiste, ce qui vous amène à nous en somme.

_ Naturellement curieux, manuel et passionné par les objets et l’espace, il était évident pour moi de faire des études dans le domaine de l’art. Ayant obtenu mon DNSEP à l’ESAAA, je participe depuis 10 ans à des manifestations collectives et personnelles, principalement en France, mais également à l’étranger. Le but est bien sûr de développer ma pratique, plutôt multiforme, qui s’articule autour de la question de l’objet et de l’espace. A travers une économie de moyens et parfois avec quelques humeurs ‘‘pince sans rire’’, je cherche d’abord à détourner les objets, afin de leur attribuer des anomalies ou autres activités humaines. L’idée est tantôt de les personnifier (Machine formolisée, 2009), tantôt de les rendre autonome (Persistance, 2010). La performance d’objet, présente dans les vidéos, dessins et installations que je réalise, rend compte d’une forme de libération. Libération rendue paradoxalement possible, par une forme d’enfermement, de confinement donné par un cadre ou un espace (Self lavage, 2015). La deuxième chose présente dans mon travail est le rapport à l’espace. Il est pour moi indissociable à la question de l’objet. C’est notamment pourquoi je me transforme volontiers en scénographe, pour la mise en espace de mes projets personnels. Mes expositions deviennent des environnements où se déploie chaque installation autonome. L’ensemble crée des univers froids et déshumanisés, qui se référent à des espaces génériques. C’est dans cette optique que j’ai par exemple transformé le Centre d’Art de Flaine en une administration incertaine (Sfumato- Vertigo, 2015) et métamorphosé l’espace d’exposition de la Société STMicroelectronics en aire de repos (At work, 2018).

_Vous semblez avoir trouvé une base de travail claire avec ces univers froids et déshumanisés que vous reproduisez à votre manière lors de chaque projet. D’une certaine manière vous singez le monde de l’entreprise ou le système de fonctionnement organisationnel dominant dans notre société. Si critique il y a , en quoi l’art vous semble être un bon moyen pour y réagir?

_ Si je fais référence à des univers bureautiques et administratifs, c’est pour mieux glisser quelques dérèglements dans un fonctionnement organisationnel. Introduire du dysfonctionnement est antinomique à la fonction des espaces et des objets. À mon sens, cela génère de l’absurdité et une mise à distance. Cette dernière met en exergue ce qui est latent ou ce que l’on ne regarde plus, révèle des espaces neutres que l’on parcourt de façon automatique (Laboratoire vertigo, 2016). Cela m’amène à dire que mon travail est davantage ’’revival’’ que critique... Et à considérer mes productions comme poétiques voir énigmatiques. Plutôt que d’imposer un message, j’aime quand les oeuvres proposent une contemplation réflexive sur le monde qui nous entoure. Et puisque ce dernier est régit par une tertiarisation globale, il me semble naturel d’intégrer une ‘‘esthétique bureautique’’ à mes installations. Avec Open Space, l’exposition est conçue comme un plateau où se chevauche salle d’attente, aire de travail et espace de réflexion. C’est dans ces univers proches du concept de bureaux paysagers, que le visiteur-passant est invité à contempler et à s’approprier les oeuvres.

_Selon vos compétences, qu’est ce que ce projet apportera au lieu d’exposition, à son public? En d’autres termes, comment votre démarche se rattache et s’adapte de manière cohérente ici à une problématique située?

_Fabriquer des environnements, comme énoncé plus haut, amène l’espace d’exposition à théâtraliser la neutralité d’autres espaces, notamment celui du bureau. Par ce même biais, la neutralité de l’espace d’exposition est elle-même révélée au visiteur, en même temps qu’il est désacralisé au profit d’une esthétique fonctionnelle.


Au bord du précipice, l'expérience du vertige dans l'œuvre « Laboratoire Vertigo »
Par Marie Griffay, 2016 (extraits)

Vous connaissez ce lieu. Vous y êtes passé 1 fois, 2 fois, 100 fois. Vous le connaissez sans toutefois le reconnaître. Sans le reconnaître puisque cet endroit n'existe pas. Il n'est que la synthèse de milliers de lieux semblables ; de couloirs d'écoles, de bureaux, d'administrations, d'hôpitaux, de tribunaux... Il est surtout le couloir que vous avez arpenté la nuit lorsque, les yeux clos, vous déambuliez sans but dans cet endroit désert ; sans trouver d'issue à cette errance involontaire. Vos yeux se promènent dans cet espace intermédiaire familier et découvrent un point de fuite, une sortie vers la gauche. Il s'agit d'un parcours fermé sur lui-même ; aucune sortie n'est possible : vous êtes dans un labyrinthe. Cette boucle spatiale et temporelle est sans échappatoire ; oserez-vous ouvrir l'une des portes de cette mystérieuse administration ?

[...] Ce vertige qui vous saisit est bien réel : une partie du sol s'est dérobée sous vos pieds. Vous n'aviez pas remarqué tout de suite que les carreaux blancs étaient des précipices. La familiarité du lieu vous l'a fait reconnaître immédiatement : votre vision n'a sélectionné que quelques éléments essentiels à la compréhension de l'espace.
Votre imagination visuelle a ensuite complété la scène de façon automatique, vous faisant tomber dans le piège de l'illusion. Vous voilà rassuré : vous vous trouvez bien dans un rêve, tout ceci ne peut pas être réel. Ce damier vous rappelle celui d'un jeu d'échec. Impossible de vous dérober à la partie, vous êtes coincé sur le plateau de jeu. Serez-vous un pion, un cavalier, un roi ?

[...] Avec les dessins de la série « Laboratoire Vertigo », Johan Parent fait explicitement référence au réel pour mieux introduire un élément perturbateur : un sol à la configuration impossible. Le procédé « d'étrangisation » des objets consiste à compliquer la forme, il accroît la difficulté et la durée de la perception. Ce détournement d'un élément familier permet à Johan Parent de restaurer l'étrangeté initiale d'un lieu qui, à force d'habitude, était parcouru de manière automatique.
L'illusion du « Laboratoire Vertigo » est révélée ; le sol de cet espace commun et vraisemblable est en fait incomplet. Soit le corps perd l'équilibre, obéissant aux lois de l'attraction terrestre. Sa pesanteur l'entraine alors dans une chute irrémédiable ; la chute soudaine, angoisse fondamentale de l'homme, qui réveille brusquement le dormeur. Soit le corps conserve la consistance du rêve et flotte à la surface tel un esprit. Là, les évènements, dans leur différence radicale avec les choses, ne sont plus du tout cherchés en profondeur, mais à la surface, dans cette mince vapeur incorporelle qui s'échappe des corps, pellicule sans volume qui les entoure, miroir qui les réfléchit, échiquier qui les planifie.

[...] Les déplacements dans les quatre dessins de la série « Laboratoire Vertigo » sont également contraints : chaque joueur se déplace de cases en cases sur cet échiquier / décor de jeu vidéo / plateau de jeu de société en évitant de tomber dans les précipices. Cet espace confiné implique un nombre de mouvement réduit. Les règles qui sont à l'œuvre dans les quatre dessins peuvent évoquer celles qui régissent les déplacements dans le couloir d'un service administratif : les corps se déplacent le long des murs, se dirigent vers un objectif, dans un parcours imposé par un chemin signalé, obéissent à un code social implicite. Ces lieux aux décors fortement dépersonnalisés n'invitent pas à la détente ni à la flânerie. [...]


Architectures potentielles, par Nicole Kunz, Ferme de la Chapelle, Genève, 2017

Avec quelques éléments réels et fictifs, Johan Parent reconstitue un espace neutre et froid, qui pourrait être celui d'un bureau ou d'une administration, mais dont la perception le transforme peu à peu en un lieu étrange et aliénant. Deux murs de la salle, repeints pour l'occasion en gris-vert, sont vaguement éclairés par des néons, et agrémentés par de fausses bouches d'aération. Des dessins en noir et blanc rythment ces surfaces neutres [...]. Une troisième paroi s'ouvre sur une projection tripartite d'espaces anonymes filmés en plans fixes et qui rappellent les sujets encadrés.

D'une grande simplicité, ce dispositif d'installation met en péril la perception de l'espace. Le spectateur entre dans un lieu non identifié, mais suffisamment anodin pour ressembler à des centaines d'autres endroits familiers, mais sans identité propre. L'accrochage traditionnel des dessins en ligne rappelle celui d'une galerie, tout en devenant ornemental par la présence incongrue et pourtant importante de la plante verte. Seul élément naturel, le végétal permet de se raccrocher à une réalité que tout concorde à rendre virtuelle ou théâtrale, y compris le sujet des dessins [...]. Ces différentes interventions créent des mises en abymes successives sur des univers où le regard peine à retrouver ses repères.


Sfumato – Vertigo du blanc au vide, par Anthony Lenoir, Centre d'Art Contemporain de Flaine, 2015

Fumée blanche et rideau noir, de la neige au néant, entre sfumato et vertigo... la constitution d'un espace autonome. Ici la référence est double mais elle provoque le même effet : une perte sensible des repères. D'un côté, le Sfumato. Celui-ci est introduit dans la peinture par Leonard de Vinci pour fabriquer un effet atmosphérique permettant de créer la perspective par la disparition progressive des éléments dans une sorte de brouillard chromatique qui laisse le spectateur dans une indéfinition de l'espace. De l'autre côté, Vertigo. Ce syndrome mieux connu sous sa traduction de "vertige" est l'appréhension ressentie par une personne ne pouvant plus qualifier l'espace dans lequel elle se trouve. Une fois cette brève introduction faite, il nous faut entrer. Très vite, nous sommes face à un mur blanc sur lequel sont accrochés deux dessins en noir et blanc. De longs couloirs à l'esthétique bureaucratique sont mis en mouvement par un damier qui compose l'essentiel du paysage donné à voir. Ce même damier nous projette dans un espace en évolution sur lequel reposent justement nos pieds. L'effet est garanti. La sensation s'appelle le vide mais un vide tourbillonnant. De l'autre côté de ce même mur, se trouvent deux autres dessins et le sol sur lequel nous nous mouvons est lui, de plus en plus atteint par la transformation d'une partie du carrelage passant du blanc au noir.

À notre droite, un mur sombre sur lequel est accrochée une série de six cadres remplis de "matière grise". Un graphique ouvre des pistes vers une explication sommaire. Les six cadres ont été engendrés par une fusion ou inversement. La ligne temporelle nous apporte plus de précision : chaque cadre est une "unité autonome" apparue l'une à la suite de l'autre d'une même fusion. En observant à nouveau les cadres, et plus précisément la matière qui les compose, le papier fait définitivement référence à la bibliothèque qui habite elle aussi le centre d'art de Flaine. Le lieu produit la matière première des pièces de l'exposition.
À gauche, plusieurs éléments nous interpellent. Quelques plantes sont disposées de manière incongrue dans l'espace. Plus alarmant, une série de chaises noires semblent s'être échappée d'une petite pièce, au fond de la salle ; pièce d'où provient également un "bourdonnement". En nous approchant, c'est une radio qui émet ce son monotone et dérangeant.
Au mur, ce qui pourrait être une horloge, car elle en a la forme ronde et occupe son emplacement habituel, ne peut remplir sa fonction car les aiguilles ont été remplacées par un disque opaque blanc dans lequel s'inscrivent les "variations climatiques de l'extérieur" pour reprendre les mots de Johan Parent. Comme dans une salle d'attente, le temps n'est plus, il part en fumée ou, ici, dans une tempête de neige de saison !

Pourtant, d'une certaine manière, les choses s'éclaircissent à mesure que nous divaguons dans cette exposition. Notre présence est mise en mouvement par les objets du lieu qui nous accueille. Est-il si accueillant ? Les miroirs convexes sont motorisés et semblent suivre nos déplacements pour nous renvoyer continuellement une image de notre présence, les néons qui éclairent les dessins ne sont plus raccordés aux prises électriques et lorsque nous pénétrons enfin dans la dernière pièce en poussant le rideau noir, nous nous retrouvons face à Fog, une vidéo d'un lieu similaire à celui dans lequel nous errons depuis plusieurs minutes. La seule différence, c'est notre absence et cette fumée blanche qui, sortant du rideau noir, remplie progressivement un espace qui s'est libéré de notre nécessaire présence.


  • Image 1:  Écho, miroirs convexes motorisés, mâts métalliques (x 6), dimension variable

  • Image 2: Objet asphyxié, cabane de chantier, machine à fumée, dimension variable, 2012

  • Image 3 à 4: Vues d’ensemble

Asphalt, par Jean-Marie Gallais. Publié dans l'édition Asphalt, Galeries Nomades 2012, Institut d'art contemporain, Villeurbanne / Rhône-Alpes, Supplément vol. X, Analogues, Arles

[...] Farbstein smoked in peace, smiling to himself, scarcely listening. The Commissioner left the radio on for so long that finally Hillis, wincing a little, asked him to turn it off, which he did with a shrug a short while later. “And all this proves?” asked Hillis, who knew damned well what it proved.“It seems obvious”, said Hardy. [...]
W. R. Burnett, Asphalt Jungle, 1950

Une fourmilière semble toujours inerte tant qu'on ne s'en approche pas. Le curieux monticule de sable, de terre et d'épines ne se dévoile que selon deux modalités : il faut s'avancer, ou bien s'arrêter, pour percevoir l'action, le mouvement frénétique des insectes. Une effervescence permanente mais non évidemment perceptible, comme celle de la fourmilière, comme celle de la ville, décor d'Asphalt Jungle (Quand la ville dort, 1950), film noir de John Huston, c'est précisément la situation et le spectacle qu'offre l'exposition de Johan Parent à la Serre de Saint-Étienne. D'abord il faut s'approcher, ou bien s'arrêter, pour contempler le reflet du temps – le temps qu'il fait comme le temps qui passe, sur un cadran d'horloge-miroir accroché au dessus de l'entrée. Nous voilà prévenus : c'est un univers à moitié absurde, à moitié sensé qui se trouve derrière la porte, un spectacle mi-contemplatif, mi-déceptif, chargé de sous-entendus révélateurs.

À nouveau, une fois entré dans la Serre, il faut s'approcher ou bien s'arrêter, pour comprendre tout ce qui s'y passe et pour percevoir l'activité réelle. Une douce cacophonie vous accueille, des moteurs se mettent en branle, des machines tournent, grésillent, fument, des tuyaux d'une station de lavage s'ébrouent... Un vrai ballet mécanique, mais paradoxalement discret, à demi secret même, sans présence humaine. Des miroirs circulaires inclinés tournent lentement au plafond et révèlent des fragments inédits de l'espace, offrent des perspectives vertigineuses.
On entend un bourdon qui virevolte et s'approche avec insistance : l'observateur attentif aura décelé qu'il ne s'agit que d'une vieille radio à demi trafiquée qui grésille au fond.
Plus loin, une cabane de chantier fermée laisse s'échapper lentement une énigmatique fumée, ici des vinyles remplacent les pales de ventilateurs, là des néons fonctionnent alors qu'ils sont débranchés, des acouphènes se propagent, flashes et autres vibrations convulsives assaillent le visiteur, sans brutalité cependant. Nous voyageons toujours en plein dysfonctionnement, en plein paradoxe. Les objets et les machines reprennent finalement leur autonomie : les programmes électroniques ou les rouages ont pris leur vengeance sur la domination humaine, et toute cette petite société mécanique semble décider désormais souverainement de son devenir.
À travers une série de dessins, Johan Parent avait déjà précédemment libéré les objets de leur condition en les représentant mimant des postures et gestes humains ; c'est peut-être le cœur de son travail : faire parler les objets paranoïaques et les machines hypocondriaques, les laisser nous en dire plus, révéler leur condition, et par miroir, la nôtre évidemment.
Comme on conserve des animaux dans des bocaux remplis de formol, Johan Parent conserve des pièces de mécanique dans des bocaux remplis d'huile. Cultivant la défaillance et le dysfonctionnement comme matériaux de base, il révèle et défie non seulement notre rapport aux objets, aux habitudes, aux apparences, mais il s'inscrit aussi avec cette exposition en écho à un contexte précis. Sa plus spectaculaire intervention dans la Serre est sans doute l'implantation derrière les murs d'un sablier géant, qui laisse s'écouler par intermittence un sable noir brillant à travers un orifice dans le mur, sans que l'on puisse savoir ce que ce sablier chronomètre. Peu à peu, en pluie ruisselante, une vague noire envahit l'espace d'exposition, offre aux palmiers de la Serre une plage improvisée. Ce monticule noir grignotant l'espace évoque inévitablement les terrils stéphanois, tandis qu'une série de dessins de bâtiments industriels ayant été construits à Saint-Étienne sert de base à un autre travail dans lequel l'artiste remplace toutes les ouvertures par des morceaux de cuir noir, comme un clin d'œil à Marcel Duchamp et Fresh Widow (1920).

Avec Asphalt, Johan Parent transforme la Serre de Saint-Étienne en un grand décor urbain, entre terrain vague et parc aménagé, occupé et dérangé par ces objets en fonctionnement autarciques, des objets performant seuls. Ce flux permanent, imposé, qui se révèle lorsque l'on s'arrête ou lorsque l'on s'approche ; ce flux paradoxal car à la fois contemplatif et inquiétant, est le fil rouge du travail de Johan Parent, c'est lui qu'il faut suivre pour sonder la fascinante fourmilière et la laisser parler. Alors les traits marquant les rapports homme-objet et machine-monde se dévoilent, avec facétie, poésie ou énigme.


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